Référé‑liberté face aux mesures sanitaires locales : mode d’emploi honnête

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Depuis le Covid, les maires et préfets ont pris goût aux arrêtés sanitaires. Certains sont nécessaires, d’autres franchement discutables. Comment utiliser concrètement le référé‑liberté pour faire tomber, à temps, une mesure locale disproportionnée en droit administratif français ?

Pourquoi le référé‑liberté reste l’arme la plus tranchante du contentieux administratif

On en parle trop souvent comme d’un remède « exceptionnel ». En pratique, pour contester une mesure de police administrative qui porte une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale, c’est l’outil de survie.

Quelques rappels utiles, que l’on soit entreprise, association ou simple administré :

  • il peut être utilisé contre des décisions de l’État (préfet, ministre) comme des collectivités (maire, président de département, région, etc.) ;
  • il permet, en cas d’urgence, d’obtenir une suspension ou une adaptation de la mesure en 48 heures, parfois moins ;
  • il oblige le juge à regarder la réalité concrète de votre situation, pas seulement une abstraction juridique.

Le Conseil d’État a affûté cet outil pendant la crise sanitaire, mais il reste pleinement mobilisable pour d’autres contextes : restrictions de circulation, fermetures d’établissements, interdictions de manifestations, encadrement excessif des professionnels de santé ou de la culture, etc.

Pour comprendre comment le manier, mieux vaut revenir à ce que le juge attend réellement de vous. Et ce qu’il ne pardonne pas.

Les 3 conditions clefs que le juge administratif examine en priorité

1. Une atteinte grave à une liberté fondamentale, pas une simple contrariété

Le premier filtre est rude. Le juge du référé‑liberté ne s’intéresse qu’aux libertés fondamentales : liberté d’aller et venir, liberté d’entreprendre, liberté de réunion, liberté de manifestation, droit au respect de la vie privée, droit à la santé, liberté de culte, droit de propriété, etc.

Deux erreurs classiques :

  • empiler des arguments techniques de légalité externe en oubliant de démontrer quelle liberté est touchée ;
  • revendiquer une liberté fondamentale de manière abstraite, sans détailler l’ampleur concrète de l’atteinte.

Le juge veut comprendre ce que la mesure change dans votre vie professionnelle ou personnelle : un cabinet médical qui perd 60 % de son activité, une association qui ne peut plus tenir ses réunions statutaires, un commerçant qui se voit interdit d’ouvrir alors que ses concurrents directs restent autorisés.

Sur ces questions, les juridictions administratives, notamment à Paris, ont développé une jurisprudence précise. Le cabinet s’y confronte quotidiennement en contentieux administratif.

2. Une urgence réelle, justifiée, documentée

L’urgence n’est pas qu’un mot‑clé : c’est le nerf du référé‑liberté. Vous devez montrer que, sans intervention du juge dans les prochains jours, le dommage sera irréversible ou quasiment.

Exemples parlants :

  • un professionnel de santé menacé d’interdiction d’exercer dès le 1er janvier pour non‑respect d’une obligation vaccinale ou d’un protocole local discutable ;
  • un organisateur de marché de Noël dont l’arrêté d’interdiction tombe dix jours avant l’événement ;
  • un restaurant auquel la mairie impose une fermeture administrative de trois semaines en pleine saison touristique.

Les pièces comptent plus que les lamentations : prévisionnels de chiffre d’affaires, contrats, échanges mails avec la préfecture ou la mairie, attestations de partenaires, tout ce qui matérialise le risque.

3. Une mesure manifestement disproportionnée ou inadaptée

La vraie bataille se joue ici. Depuis les grandes décisions rendues pendant la pandémie (dont certaines sont synthétisées sur le site du Conseil d’État), le contrôle de proportionnalité est au cœur du droit administratif général.

Vous devez démontrer :

  • que l’objectif poursuivi (ordre public, santé, sécurité) pourrait être atteint par des mesures moins drastiques ;
  • que vous êtes traité différemment de situations comparables sans raison objective ;
  • que l’administration n’a pas mis à jour sa décision au regard de données récentes (évolution de la situation sanitaire, par exemple).

Une requête solide ressemble plus à un raisonnement clinique qu’à un coup de gueule : elle part des faits, puis remonte vers le principe de proportionnalité, et non l’inverse.

Actualité : la nouvelle doctrine administrative sur les fermetures d’établissements recevant du public

Depuis l’automne 2025, plusieurs préfectures ont mis à jour leurs lignes directrices sur les mesures sanitaires locales applicables aux établissements recevant du public (ERP) en cas de reprise épidémique saisonnière.

Trois tendances assez nettes se dégagent :

  • un retour des jauges de fréquentation dans certains équipements sportifs et culturels ;
  • des restrictions horaires ciblées sur les débits de boissons ;
  • des obligations renforcées de ventilation et d’affichage sanitaire dans les lieux clos.

Rien de révolutionnaire, mais, dans la pratique, les arrêtés préfectoraux et municipaux qui en découlent sont loin d’être tous exemplaires. Certains se sont déjà fait épingler pour leur rédaction approximative, d’autres pour leur incohérence avec les recommandations nationales, notamment celles publiées par Santé publique France.

Pour un professionnel parisien ou francilien, attaquer ces mesures sans perdre de temps suppose de bien choisir le bon terrain contentieux. Le référé‑liberté s’impose lorsque l’atteinte est immédiate et massive. Sinon, un référé‑suspension assorti d’un recours pour excès de pouvoir pourra être plus adapté.

Construire une requête de référé‑liberté qui parle au juge

1. Partir des faits, pas des grands principes

Un paradoxe qu’on observe constamment devant les juridictions administratives : les requêtes les plus « idéologiques » sont souvent les moins efficaces. À l’inverse, un mémoire sec, ancré dans le réel, a beaucoup plus de poids.

Pour une entreprise de restauration parisienne frappée par un arrêté préfectoral imposant une fermeture anticipée à 22 heures pendant six semaines, la requête utile n’est pas celle qui disserte pendant cinq pages sur l’économie de marché. C’est celle qui expose :

  • la proportion de chiffre d’affaires réalisée après 22 heures ;
  • les investissements récents réalisés (emprunts, embauches) ;
  • les mesures de prévention déjà mises en œuvre (ventilation, filtrage, réservation) ;
  • l’absurdité d’un traitement plus sévère que des établissements comparables.

À partir de là, on raccroche au cadre juridique : liberté d’entreprendre, proportionnalité, égalité devant les charges publiques. Mais on ne commence pas par là.

2. Soigner la chronologie et les pièces

La procédure est rapide, mais le juge lit vraiment les pièces. Une requête de qualité organise :

  1. une chronologie nette : date de la décision, premières conséquences, démarches amiables, éventuels recours administratifs préalables ;
  2. un tableau ou au moins une présentation structurée des pièces, pour que le juge puisse vérifier immédiatement vos allégations ;
  3. une ou deux annexes synthétiques (tableaux, cartes, schémas simples) lorsque la situation l’exige.

À Paris, où la charge de travail des juges des référés est particulièrement lourde, cette clarté factuelle est décisive. Elle fait souvent la différence entre un rejet sec et une ordonnance nuancée, parfois partiellement favorable.

3. Penser articulation avec les autres procédures

Le référé‑liberté n’est pas isolé : il se combine avec le recours au fond et, parfois, avec d’autres référés. Un cabinet habitué au contentieux administratif complexe anticipe :

  • le maintien d’un recours pour excès de pouvoir classique pour obtenir, à terme, l’annulation de la mesure ;
  • la possibilité d’un référé‑suspension parallèle, plus adapté si l’urgence est moins aiguë mais le dossier juridiquement prometteur ;
  • éventuellement, un recours indemnitaire ultérieur si les pertes sont avérées.

Cette vision d’ensemble permet d’éviter le piège du « tout référé‑liberté », qui donne l’illusion de l’efficacité mais laisse parfois le justiciable désarmé une fois le coup d’éclat passé.

Cas concret : une interdiction municipale de marché de producteurs en plein hiver

Imaginons un scénario, très proche de situations déjà rencontrées. Une mairie d’Île‑de‑France décide, fin novembre, d’interdire le marché de producteurs de Noël, au motif de la « situation sanitaire incertaine » et de la difficulté à respecter les flux.

Les organisateurs, association locale structurée, se retrouvent avec :

  • des acomptes déjà versés aux exposants ;
  • un contrat de location de matériel signé ;
  • une communication lancée depuis plusieurs semaines.

Ici, une stratégie contentieuse efficace pourrait consister à :

  1. déposer un recours gracieux très bref, signalant les incohérences (d’autres événements maintenus, centres commerciaux bondés, transports saturés) ;
  2. engager dans la foulée un référé‑liberté, en ciblant la liberté de réunion et la liberté d’entreprendre des producteurs ;
  3. démontrer que des mesures moins dures (jauge, sens de circulation, masque) suffiraient à atteindre l’objectif sanitaire.

Le juge ne réécrira pas l’arrêté à votre place, mais il peut enjoindre à la mairie de réexaminer sa position, ou de reprendre une décision moins brutale.

Quand il faut renoncer au référé‑liberté (et choisir une autre voie)

Il faut aussi savoir dire non. Certaines situations relèvent clairement d’autres outils :

  • un simple désaccord sur l’interprétation d’un protocole sanitaire sans urgence particulière ;
  • un litige ancien sur la capacité d’accueil maximale d’un établissement recevant du public ;
  • des décisions internes d’hôpitaux ou d’administrations qui ne portent pas une atteinte immédiate et grave à une liberté fondamentale.

Dans ces hypothèses, un recours au fond complété, éventuellement, par un référé‑suspension sera souvent plus pertinent. Le juge du référé‑liberté se montre particulièrement sévère avec les requêtes qui, au fond, cherchent simplement à accélérer un débat de légalité ordinaire.

Un échange en amont avec un avocat rompu au contentieux administratif, à Paris ou ailleurs, permet souvent d’éviter un échec prévisible - et coûteux.

Se préparer sérieusement : méthode et lucidité

Pour les personnes publiques comme pour les particuliers ou les entreprises, l’enjeu est de banaliser l’usage du référé‑liberté, sans le galvauder.

Une bonne préparation suppose :

  • de connaître les lignes de force de la jurisprudence récente du Conseil d’État et des tribunaux administratifs ;
  • d’anticiper la constitution des pièces dès les premières discussions avec l’administration ;
  • de réfléchir à une stratégie globale de contentieux, en intégrant éventuellement d’autres domaines du droit public (fonction publique, urbanisme, marchés publics, environnement) qui interfèrent avec la décision contestée.

Le contentieux de l’urgence n’est pas une loterie. C’est un terrain exigeant, où la rigueur, la réactivité et la connaissance intime du juge administratif font toute la différence.

Et maintenant ? Choisir ses batailles

On ne peut pas - et on ne doit pas - attaquer chaque arrêté municipal ou préfectoral qui déplaît. Mais lorsqu’une mesure locale brouillonne ou excessive menace sérieusement une activité, un projet ou une liberté, refuser la fatalité est légitime.

Avant de se lancer, il est utile de faire examiner le dossier, à froid, par un praticien du contentieux administratif et constitutionnel. Un rendez‑vous rapide permet souvent de trancher : tenter un référé‑liberté solide, basculer vers un autre type de recours, ou, parfois, négocier autrement.

Ce choix, au fond, est déjà un acte de stratégie juridique. Et c’est souvent là que tout commence.

Pour analyser une mesure qui vous frappe directement, vous pouvez prendre rendez‑vous avec le cabinet via la page Contact ou consulter la présentation de Floriane Beauthier de Montalembert, avocate spécialiste en droit public à Paris.

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