Discipline des médecins : comment se défendre vraiment devant l’Ordre
Être convoqué devant une chambre disciplinaire est, pour un médecin, un choc plus violent qu’un contrôle fiscal. Pourtant, le droit disciplinaire des professions réglementées obéit à des règles précises que l’on peut manier, à condition d’arrêter de se croire « jugé d’avance ».
La procédure disciplinaire vue du cabinet médical : angoisse et malentendus
La plupart des praticiens découvrent la mécanique disciplinaire sur le tard, par la pire des portes : une plainte d’un patient, d’un confrère, parfois de la caisse. La lettre de convocation de l’Ordre tombe, sèche, impersonnelle. La tentation est grande de répondre de manière instinctive, par un courrier de justification brouillon, ou de minimiser l’affaire.
En réalité, la discipline médicale est un contentieux de droit public particulièrement structuré. Le médecin mis en cause dispose de droits – accès au dossier, assistance par un avocat, production de pièces, débats contradictoires. Ce ne sont pas de simples formalités : ce sont autant de leviers pour construire une défense solide.
À Paris comme ailleurs, les chambres disciplinaires régionales et nationales n’apprécient ni la victimisation permanente, ni le mépris affiché pour la procédure. Elles attendent des explications claires, des éléments concrets, et un minimum de lucidité sur les enjeux déontologiques.
Un contexte de plus en plus tendu pour les professions médicales
Depuis la crise sanitaire, le climat autour des professions médicales s’est densifié. Multitude de plaintes en responsabilité, polémiques sur la liberté de prescription, débats sur la communication des praticiens sur les réseaux sociaux : la chambre disciplinaire devient, malgré elle, une scène de régulation de tensions bien plus larges.
Les décisions récentes, publiées notamment par le Conseil national de l’Ordre des médecins, montrent :
- un durcissement sur les manquements à l’information et au consentement du patient ;
- une vigilance accrue sur la publicité et la communication en ligne ;
- des sanctions significatives en cas de dérives répétées ou de refus obstiné de remise en question.
Les médecins qui s’imaginent qu’un rappel à l’ordre suffira toujours se bercent d’illusions dangereuses. Radiations partielles, suspensions, interdictions temporaires d’exercer existent, et sont prononcées.
Les trois faux réflexes qui plombent une défense disciplinaire
1. Répondre seul, à chaud, sans stratégie
Le premier réflexe, humain, est de se justifier immédiatement, parfois dans un courrier interminable adressé au Conseil de l’Ordre. Mauvaise idée. Une défense efficace suppose un temps de recul, une analyse froide du dossier, et souvent l’intervention d’un avocat rompu au contentieux administratif et disciplinaire.
Un bon début consiste à :
- demander formellement la communication intégrale du dossier disciplinaire ;
- analyser précisément les griefs, textes déontologiques à l’appui ;
- identifier ce qui est contestable, ce qui est discutable, et ce qui est, honnêtement, indéfendable.
La pire stratégie étant de tout nier en bloc, y compris l’incontestable, au risque de décrédibiliser le reste.
2. Confondre responsabilité civile, pénale et disciplinaire
Beaucoup de praticiens mélangent tout : plainte pénale, mise en cause devant la CRCI ou le juge civil, procédure disciplinaire. Or, chaque terrain a sa logique, ses preuves, ses enjeux.
En discipline, l’objet n’est pas seulement de réparer un dommage, mais de sanctionner un manquement aux règles de la profession. Un même fait peut donner lieu à plusieurs procédures parallèles, avec des issues différentes. Le Conseil d’État, en juge du contentieux administratif, contrôle ensuite la légalité de la sanction disciplinaire, indépendamment du pénal ou du civil.
Comprendre ces frontières permet de bâtir un discours adapté à chaque instance, sans contradictions grossières.
3. Arriver à l’audience sans dossier écrit structuré
Certains médecins imaginent qu’ils « s’expliqueront » le jour J, oralement, en détaillant à la barre ce qui n’a pas été écrit. C’est mal connaître la culture des juridictions administratives et disciplinaires : le dossier écrit demeure central.
Une défense sérieuse comprend au minimum :
- un mémoire écrit clair, structuré, signé par le médecin et/ou son avocat ;
- les pièces médicales et administratives pertinentes (dossier patient, comptes rendus, échanges écrits) ;
- éventuellement, des attestations et éléments de contexte (organisation du cabinet, surcharge conjoncturelle, etc.).
Sans cela, l’audience devient une formalité expédiée, rarement en votre faveur.
Décembre, saison des bilans… et des mises en cause disciplinaires
La fin d’année est une période particulière : bilans d’activité, tensions accumulées, patients frustrés de rendez‑vous différés, erreurs d’organisation dans les cabinets et structures. Les plaintes et réclamations tendent à se concentrer sur ces mois d’hiver, quand tout le monde est à cran.
Pour les médecins franciliens, déjà soumis à une pression de demande de soins considérable, le moindre incident organisationnel peut dégénérer : difficultés d’accès au médecin traitant, incompréhensions sur les délais, consultations ressenties comme expéditives. Le contentieux disciplinaire capte une partie de ces frustrations.
Répondre à ce contexte par un simple « on n’y arrive plus » ne suffit pas devant la chambre disciplinaire. Le droit public offre d’autres voies (négociation avec l’ARS, adaptation des organisations, voire contentieux contre certaines décisions administratives), mais cela n’efface pas les obligations déontologiques individuelles.
Construire une défense qui ne soit ni servile ni arrogante
1. Reconnaître ce qui doit l’être
Il y a une maturité à dire : « Sur ce point précis, j’ai failli ». Un retard de compte rendu, une explication insuffisante, une phrase maladroite en consultation : nier ces évidences est contre‑productif. Les chambres disciplinaires sont plus sensibles à la capacité d’auto‑critique qu’à la posture victimaire.
Cette reconnaissance peut être encadrée juridiquement, sans s’auto‑incriminer au‑delà du nécessaire :
- en circonscrivant les faits reconnus ;
- en expliquant les mesures correctrices mises en place (nouvelle organisation, formation, protocoles internes) ;
- en montrant que l’on a compris l’enjeu déontologique.
2. Contester, point par point, les griefs infondés
À l’inverse, il serait absurde de tout accepter. Certaines plaintes sont exagérées, voire franchement fantaisistes. D’autres reposent sur des malentendus médicaux, des incompréhensions techniques, des frustrations qui dépassent le cadre du soin.
Un avocat expérimenté en professions réglementées sait démonter, calmement, ce type de griefs :
- en replaçant l’acte médical dans son contexte (urgence, contraintes matérielles, information donnée) ;
- en expliquant les choix thérapeutiques à la lumière des recommandations de bonnes pratiques (HAS, sociétés savantes) ;
- en montrant, pièces à l’appui, que les allégations contraires sont inexactes.
Le tout sans tomber dans le jargon opaque, mais sans simplifier à outrance non plus.
3. Utiliser pleinement les voies de recours
Une sanction disciplinaire n’est pas gravée dans le marbre. Des voies de recours existent, notamment devant le Conseil national de l’Ordre, puis, le cas échéant, devant le Conseil d’État en contentieux administratif.
Faire appel n’a de sens que si :
- on identifie des erreurs de droit ou des dénaturations flagrantes des faits ;
- on est prêt à reconstruire un dossier, parfois plus solide que le premier ;
- on accepte le temps long, avec ses incertitudes.
Dans certains cas, cet appel est vital : lorsque la sanction compromet gravement la poursuite de l’activité professionnelle ou l’image du praticien, notamment dans des contextes urbains comme Paris où la concurrence est forte.
Un exemple concret : le médecin généraliste accusé de manquement à l’information
Imaginons un généraliste parisien mis en cause pour un défaut d’information sur les risques d’un traitement. La patiente, insatisfaite de la prise en charge et influencée par des informations trouvées sur Internet, saisit l’Ordre. La plainte grossit le trait, mélange des faits, occulte des explications pourtant données.
Une défense structurée pourrait :
- produire des extraits du dossier médical montrant les explications notées ;
- rappeler les recommandations de la HAS applicables au moment des faits ;
- reconnaître, si c’est le cas, une insuffisance de traçabilité écrite, en détaillant les mesures prises depuis pour y remédier.
Au lieu d’un rejet pur et simple de la plainte ou d’une capitulation, on propose au juge disciplinaire une lecture nuancée, documentée, qui laisse de la place à une décision proportionnée.
Sortir du face‑à‑face solitaire avec l’Ordre
Beaucoup de médecins, notamment en libéral, vivent la procédure disciplinaire comme un duel intime avec l’Ordre : eux contre l’institution. C’est une impasse psychologique, et une erreur stratégique.
Replacer le dossier sur son vrai terrain – celui du droit public et du contentieux disciplinaire – permet de reprendre un peu de maîtrise. Il ne s’agit pas de « gagner à tout prix », mais de faire respecter les règles du jeu, d’obtenir une décision réfléchie, argumentée, proportionnée.
Le cabinet FBM Avocat, à Paris 6e, accompagne des médecins, pharmaciens et autres professions réglementées devant leurs ordres, mais aussi devant les juridictions administratives compétentes. Si vous êtes confronté à une procédure disciplinaire ou craignez de l’être, vous pouvez prendre rendez‑vous via la page Contact, après avoir pris connaissance des domaines d’intervention en droit public et des honoraires du cabinet.